ÉTAT DE LA PRESSE ET DES MEDIAS : CHRONIQUE D’UNE CRISE ANNONCEE

 

Une fois encore et de trop, l’élection des nouveaux membres du Bureau de l’Ordre des Journalistes de Madagascar (OJM) suscite des remous dans le milieu médiatique. Une fois encore et de trop, la Commission électorale et la Commission de délivrance des cartes professionnelles sont remises en question, une fois encore et de trop, le Ministère de la Communication et de la Culture est accusé par une partie de la presse d’imposture par sa mainmise sur l’Ordre, en faisant élire à tout prix un candidat qui lui serait favorable politiquement. Ces dernières modifications dans le mode électoral apporteraient-elles l’apaisement dans ce métier que tout le monde s’empresse de qualifier de « sacré » mais qui souffre pourtant ces derniers temps des pires suspicions et perd progressivement de sa crédibilité à l’heure des réseaux sociaux et du « tout le monde journaliste » ? La trop forte politisation de l’environnement médiatique est un fait : désormais la totalité des médias mainstream de la place appartiennent à des patrons de presse-politiciens.

Par ailleurs, l’obligation pour chaque candidat de disposer d’une liste de 93 conseillers et suppléants issus des régions et l’exigence de payer pour chacun une caution (évaluée en tout à près de 10 millions d’ariary pour chaque liste de candidat) est considérée comme une entrave aux droits des journalistes, une atteinte à l’égalité des chances des candidats et une instrumentalisation de l’OJM à des fins politiques. Que penser de la tenue des Assemblées générales ? Certes le Ministère de tutelle avance la question de la décentralisation pour justifier sa démarche. Cependant, la précarité du métier ainsi que la configuration du milieu médiatique régional risquent de favoriser certains types de candidats, les plus nantis et les plus nombreux sur tout le territoire. Bref, cette financiarisation mortifère des futures élections fera assurément l’objet d’importantes contestations qui plongeraient la presse une fois encore et de trop, dans une crise avec tout cela suppose de conséquences.

Cette forte polarisation politique des médias entre pro et anti-régime devrait interpeller sur les vrais rôles des médias publics, réellement au service du public, de tous les publics avec plus de pluralisme, plus de diversité et d’objectivité des informations. À défaut de médias privés politiquement impartiaux, seuls les médias publics peuvent garantir le droit des citoyens à des informations de qualité, équilibrées et objectives, mais aussi le droit politique de l’opposition explicitement prévu par la loi. Tant que les médias publics restent asservis à “la voix de son maître”, ils seront toujours les cibles des attaques politiques.  Les employés, s’ils ne sont pas politisés à leur tour, ne seront que de simples exécutants aux ordres des régimes successifs. Par ailleurs, le risque reste réel, dans le privé, qu’ils soient le porte-voix des idéologies politico-commerciales et économiques de leurs patrons. 

Dans ces conditions, le libre accès à l’information, la liberté d’informer, la liberté d’expression, le respect de l’éthique et la déontologie font vite place à l’autocensure et à l’instinct de survie.

Aussi, Ilontsera dans son rôle d’Observatoire des médias et de la communication, interpelle les acteurs médiatiques face aux violences multiformes, langagières notamment, qui déferlent dans les réseaux sociaux et les médias traditionnels en ces temps d’ébullition politique et d’incertitudes. Ilontsera dénonce l’asservissement des populations réduits en spectateurs impuissants aux agressions des dérives communicationnelles : intrigues de palais, saga politico-judiciaire, « fakes news » programmés, règlements de compte politico-médiatiques. Elles vivent leur drame, en proie à une angoisse silencieuse mais réelle et profonde, face à la cherté incontrôlée de la vie, au Kere (la famine), aux criquets, à l’insécurité quotidienne attendant l’heure… Ce climat de décadence généralisée aggrave inexorablement la défiance des publics envers les médias et l’oligarchie politique irresponsables, provoquant ainsi leur démission envers la Res republica. Quelle « citoyenneté » attendre en effet de populations nourries par une communication aussi violente, dégradante et destructrice au détriment de leur Droit fondamental, celui de vivre en paix ?

Face à ces multiples dérives verbales, comportementales qui portent atteinte aux droits à la dignité, à l’intégrité, à l’humanité des populations déjà profondément meurtries et du vivre ensemble ainsi qu’aux graves risques de désintégration sociale, Ilontsera invite les acteurs politiques autant que médiatiques à plus de décence, dans le respect de l’éthique communicationnelle.

 

Fait à Antananarivo ce 21 septembre 2021

 

Signataires :

ILONTSERA

Ivom-pandalinana ny Tontolon’ny Serasera marolafika eto Madagasikara

                                            Observatoire des Médias et de la Communication à Madagascar

                                                                                   Media Matters Madagascar

CRAAD-OI

Centre de Recherches et d’Appui pour les Alternatives de Développement – Océan Indien