Face aux rumeurs et on dit, à la panique disproportionnée, faute criminelle d’une communication efficace et d’une circulation plus fluide d’informations crédibles et pertinentes, à la psychose qui touche les populations d’Antananarivo et des environs mais aussi celles d’autres régions face à la tragédie qui ne dit pas son nom : la peste, ILONTSERA-Observatoire des médias et de la communication- s’interroge sur les dérives de langage et/ou excès communicationnels et informationnels qui s’ajoutent à l’angoisse, aux souffrances des familles victimes éplorées, à l’aveu de l’extrême fragilité et vulnérabilité de tous et du tout, conséquence grave d’un désajustement profond des liens sociaux.
L’urgence est évidente, impérative : la résorption rapide de l’épidémie. Loin de minimiser l’ampleur du danger que représente cette épidémie de peste, elle est aussi malheureusement l’illustration de problèmes plus profonds dont la perte de confiance mutuelle totale au sein de la société entre politiciens, administration, médias, sociétés civiles et citoyens. Des méfiances réciproques dues à la crise des institutions servant de repères sociaux comme les partis politiques, la justice, les églises, l’éducation, les autorités morales et traditionnelles, et les médias.
Désormais, toute décision de justice est soupçonnée de corruption, chaque désignation aux hauts emplois de l’Etat ou une admission à un concours d’Etat signifie forcément copinage et favoritisme, tout titre foncier devient suspect, chaque décision ministérielle est contestée. Désormais, toute information « officielle »,dans le sens médiatique du terme,est devenue douteuse et remise en cause car jugée trop politisée. Désormais, le public préfère recouper ces informations de manière horizontale entre les membres de réseaux sociaux ou dans un cadre hors-médias (famille, collègues, amis, etc.) au lieu de se fier aux versions verticales des médias classiques et des autorités officielles auxquelles il « se soumettait » jusque-là.
L’heure est grave quand une famille ose exhumer et emporter de force le cadavre d’un mort de la peste pour le mettre dans le tombeau familial. Ou lorsque l’on va jusqu’à faire l’intifada contre les agents du BMH pour les empêcher de lever le corps d’un pestiféré. Et cette manifestation contre l’installation d’une unité de tri en plein quartier censée pourtant assurer une prise en main de proximité ? Il a aussi fallu l’intervention des forces de l’ordre pour maîtriser la colère de deux familles dans le même cas au sein d’un hôpital public. Au-delà de la douleur et de la colère, c’est de cette défiance que nous nous devons de nous inquiéter car elle risque d’entraver toute tentative de maîtriser l’épidémie.
Face à cette situation de crise, ILONTSERA dans sa mission d’observation et d’interpellation appelle:
– les médias à assumer leur rôle de garant de la cohésion sociale, de « ciment social », en dissipant toute forme de rumeur ; en ne divulguant que des informations crédibles,vérifiées, recoupées , en respectant la décence, la moralité, l’objectivité et surtout l’honnêteté, l’éthique et la déontologie, toujours.Il est vrai que le métier de journaliste est des plus durs notamment en cherchant les infos dans des milieux hostiles et infectés mais c’est pour cela que le métier est noble. C’est en ces moments de détresse que les médias et les journalistes se doivent d’assumer leur responsabilité sociale : les citoyens ont besoin de retrouver leur confiance en vous.
– les autorités compétentes à rendre effectif l’accès égal et universel à l’information que Madagascar vient d’ailleurs d’en célébrer la journée internationale le 28 septembre dernier ; à diffuser des informations vraies, non manipulées, sans velléité politique, de manière équitable et transparente ; à adopter une communication adaptée à la crise en tenant compte de toutes les diversité sociales et politiques mais surtout mettre au cœur du dispositif de communication les FOKONTANY, véritables détenteurs du pouvoir, qui doivent aller au-delà des mises en scènes politico-sociales et faire montre de vigilance face aux récupérations ou/et instrumentalisations séculaires ; à faire connaître au mieux les lois et les codes sur la communication, l’information et la cybercriminalité à travers des actions d’éducation aux médias dont la pratique est plus que jamais opportune au vu des derniers dérapages notés sur Facebook, en particulier concernant cette épidémie de peste.
– les internautes et les usagers des réseaux sociaux à prendre conscience de l’arme, voire de la bombe qu’ils ont entre leurs mains ; à prendre conscience qu’Internet peut faire du bien mais aussi beaucoup de mal et qu’ainsi, cette liberté que permet le Web exige surtout une prise de responsabilité ; à ne pas oublier que ce sont les journalistes qui sont les professionnels de l’information ; néanmoins les internautes doivent connaître autant que faire se peut les règles morales, éthiques, et légales car comme le dit l’adage, nul n’est censé ignorer la loi.
– les politiciens à cesser d’instrumentaliser les malheurs des gens à des fins propagandistes et des simples visées de pouvoir, car aussi bien pour les tenants du pouvoir que les opposants, le peuple se souviendra au moment voulu ; à assumer pleinement votre rôle qui est d’abord de rassurer le peuple et donner le bon exemple, sur terrain et dans les médias, surtout en ces moments difficiles ; à repenser dans un bref délais la politique de santé publique pour endiguer la prochaine saison pesteuse et faire cesser cette domination des discours d’ auto-dévalorisation et d’autoflagellation du Malgache à qui l’on rappelle sans cesse que la peste lui est endémique.
– les citoyens à s’informer par tous les moyens car désormais, c’est le cas de le dire, s’informer c’est rester en vie ; à rester sereins et suivre les directives fournies par les autorités compétentes pour combattre l’épidémie ; à ne pas hésiter à se signaler ou signaler les cas suspects de peste ; à ne pas relayer les rumeurs qui ne font qu’aggraver la psychose ambiante.
– la société civile à s’impliquer davantage, à sa manière respective, dans cette lutte contre la peste mais surtout contre l’ignorance, la pauvreté et la fracture sociale qui s’aggrave de plus en plus ; à s’engager plus dans notre première mission qui est de resserrer les liens sociaux dans notre société.
Appelle à TOUS : Sommes-nous prêts au-delà de l’indignation aujourd’hui stérile, sauf respect aux familles éplorées, à nous organiser, construire, créer, imaginer et capitaliser la prise de conscience des fokonolona au niveau des différents quartiers qui ont démontré ou exhumé et reconquis ces derniers jours, dans un formidable élan de solidarité, leur énergie, ny fihavanana, dévitalisée et/ ou folklorisée par les oligarchies politiques , « ethniques », religieuses, … qui se sont succédés depuis. Faire de cette étape douloureuse de la vie de la nation une occasion de lancer un grand défi de solidarité, de penser aux vrais intérêts de la population et apprendre ou réapprendre à parler au nom de l’Humanité, ny mahaolona, car maintenant c’est une question de vie ou de mort.
Fait à Antananarivo, le 10 octobre 2017
ILONTSERA
Ivom-pandalinana ny Tontolon’ny Serasera marolafika eto Madagasikara
Observatoire des Médias et de la Communication à Madagascar
Media Matters Madagascar