Citoyenneté numérique : Le vide juridique, une entrave au respect des Droits humains et des libertés

La cybercriminalité est désormais une réalité qui n’épargne personne aussi bien les personnalités que les simples citoyens dès lors qu’ils aient recours aux Nouvelles Technologies de l’information et de la Communication (NTIC). Certes, il existe déjà la loi 2014-006 sur la lutte contre la cybercriminalité, mais compte tenu de l’évolution rapide des outils et des pratiques numériques, la panoplie juridique sur les droits numériques doit être renforcée, notamment avec l’avant-projet de loi sur la protection des défenseurs des droits humains et des lanceurs d’alerte.

Ceci au regard des évènements qui ont eu lieu ces derniers temps et qui mettent en danger la liberté d’expression, la liberté d’opinion et le droit à l’information, piliers de la démocratie et parties intégrantes des droits humains fondamentaux, et ce, selon l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Néanmoins, afin d’éviter les dérapages et les dérives, une loi est nécessaire pour permettre l’exercice de ce devoir citoyen. C’est d’autant plus urgent que les lanceurs d’alerte n’ont pas le statut officiel de journalistes mais peuvent collaborer avec eux, et avec les autorités judiciaires.

Le vide juridique constitue un frein chez le citoyen qui n’ose plus dénoncer quoi que ce soit, laissant la porte ouverte à l’impunité, quand bien même les faits dénoncés par les lanceurs d’alerte et activistes soient avérés ou peuvent constituer des pistes et des indices à suivre pour une éventuelle enquête. Et surtout s’ils se révèlent d’intérêt public.

Il faut une application impartiale et égale de la loi pour que celle-ci ne devienne un instrument politique ou l’arme des plus forts. La perte de confiance envers le système judiciaire peut favoriser le « tribunal de Facebook », là où les usagers déversent leurs frustrations ou avoir leur quart d’heure de gloire. Même si elle représente un nombre relativement faible à l’échelle du pays, les utilisateurs des réseaux sociaux, devenus la nouvelle opinion publique (virtuelle), sait qu’elle peut peser aussi lourde que dans la réalité, et peut influencer le processus de prise de décision politique et impacter la vie de toutes les communautés. Autant de raisons pour faire des droits numériques une priorité à l’heure de la digitalisation, du tout numérique et de la démocratisation des réseaux sociaux, mais aussi des cybercriminalités, de la désinformation, des fake news, des piratages et arnaques en tout genre, et toutes autres formes de violation des droits humains.

Sans une véritable politique de transparence, au nom du droit d’informer et du droit à l’information et nonobstant les secrets de l’instruction, cette perte de confiance s’étendra et favorisera le tribunal des réseaux sociaux. « Les enquêtes sont en cours » (litt. « misokatra ny fanadihadiana », Rado) est devenue l’expression à la mode actuellement pour ironiser sur le cas des dossiers « classés sans suite » …  

L’ambiance se fait de plus en plus pressante, en témoignent une volonté de « maîtriser » l’information à coup d’exclusion de certains organes de presse pour certaines informations au détriment de l’accès équitable à une information à caractère public. Certaines velléités de menace contre des journalistes refont également surface dans un contexte de forte politisation et de polarisation extrême des médias. Les informations se limitent, alors, à des querelles politiques empêchant d’aller en profondeur et trouver des solutions adéquates sur des sujets primordiaux comme le cas des enfants atteints d’albinisme, l’insécurité ambiante surtout en milieu rural, le coût de la vie, le kere. Dans ce contexte, la loi sur l’accès à l’information à caractère public est plus que souhaitée et ce au nom du respect des droits humains fondamentaux évoqués plus haut.

D’un côté, le citoyen, confronté à une masse et un flux considérable d’information chaque jour, est laissé à lui-même sans la possibilité d’un débat de fond et plus d’investigations grâce à une presse libre et un traitement plus égalitaire des médias et des journalistes. De l’autre, seul un travail journalistique soucieux de l’éthique et de la déontologie professionnelle permettrait de respecter la vérité et de faire jouer la capacité de libre-arbitre du public, le tout en laissant toutes les opinions s’exprimer dans le cadre de la légalité et de la légitimité. 

Le volet éducation est également un élément déterminant pour vaincre l’ignorance et inculquer une culture médiatique et numérique plus responsable et avisée. Raison pour laquelle Ilontsera a lancé le Projet « e-taray » sur la promotion et la protection des droits numériques (Numéro vert gratuit 034 30 810 10) pour permettre aux citoyens d’utiliser sereinement, et dans le respect de leurs droits fondamentaux, l’espace numérique. Aucune partie de notre vie n’échappe plus désormais à l’usage des TIC, avec ce qu’il y a de meilleur et de pire. Ilontsera en appelle, ainsi, à un usage des outils d’information et de communication numériques de manière plus inclusive, équitable, démocratique, responsable et respectueuse des valeurs malagasy pour que l’Internet et les réseaux sociaux ne deviennent le théâtre des violations des droits humains au lieu d’être un terreau favorable, d’une part, à l’épanouissement de chaque individu, en particulier les personnes et les communautés vulnérables, et d’autre part, au réel développement de toutes les sociétés malgaches.

 

Fait à Antananarivo, le 18 octobre 2022

ILONTSERA

Ivom-pandalinana ny Tontolon’ny Serasera marolafika eto Madagasikara

                                            Observatoire des Médias et de la Communication à Madagascar

                                                                                   Media Matters Madagascar